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April 4, 2018

Les nouveaux lieux de la ville - Entretien avec Damien Beaufils

Damien, tu es le fondateur d’ Urban Project, créateurs de lieux innovants» à la fois chasseur de lieux et chef d'équipes, peux-tu nous en dire plus sur ton métier ?

J’ai commencé comme gestionnaire d’actifs immobiliers pour un fond d’investissement – cette activité a rapidement manqué de sens mais m’a néanmoins permis d’appréhender l’univers de l’immobilier. J’ai fait un premier pas de côté en quittant la grosse structure pour m’établir à mon compte à Lyon en tant que consultant pour des investisseurs privés. Néanmoins, je gardais cette frustration de me sentir créatif dans la peau d’un gérant et de ne pas trouver preneurs pour mes idées qui sortaient du cadre. En 2014, j’ai alors décidé de me consacrer à des projets de cœur – je me suis lancé et j’ai connu une vingtaine d’échecs qui m’ont aidé à structurer mon nouveau métier. Aujourd’hui, si je devais l’expliquer, je dirais qu’il consiste dans un premier temps à collecter des idée et à trouver des lieux qui n’intéressent personne plutôt que de répondre à des appels à projets car extrêmement concurrentiels et chronophages. Il s’agit ensuite d’élaborer la recette ou programme dans le jargon immobilier, c’est-à-dire, ce que l’on va mettre dedans : café, restaurant, espace de coworking etc. et d’en trouver le modèle économique, pour s’assurer que les revenus générés seront suffisants pour rembourser les travaux, payer les loyers et rémunérer les personnes impliquées dans la création du lieu. Enfin, je monte une équipe; mon rôle est alors de les fédérer autour d’une vision.

Le dernier né est un projet d’envergure, il s’appelle La Commune, peux-tu nous expliquer en quoi il consiste ?

Il s’agit d’une ancienne menuiserie de 1400m2 que les promoteurs immobiliers classiques voulaient raser pour construire des logements. Le propriétaire, très attaché à ce lieu, a refusé. C’est alors que Déborah Hirigoyen, de l’agence d’architecture Archimix, m’a contacté pour me proposer de réfléchir avec elle à un projet de reconversion. De notre rencontre est née le projet de La Commune. Nous avons ensuite demandé à Damien Doublet, le 3ème associé, de nous aider pour lever les fonds nécessaires. Pour que ce projet fonctionne financièrement, on se devait d’être dans une zone où les loyers sont relativement peu élevés. La Commune sera donc située dans une zone secondaire de Lyon, une zone encore en friche mais qui a un gros potentiel. On s’attend à 10 000 emplois supplémentaires sur ce territoire d’ici 2022. Ceci étant dit, il fallait trouver un ingrédient supplémentaire à la recette pour que ce lieu soit suffisamment attractif, pour devenir un lieu de destination car nous ne pouvions pas compter uniquement sur les habitants des environs pour le faire vivre. Nous avons été conseillé par la Bellevilloise dans ce sens et au-delà de sa fonction d’incubateur de jeunes chefs, ce lieu sera un centre culturel doté d’un bar. Il pourra également être privatisé par des entreprises.

La Commune - Vue intérieure

L’hybridation, le mix des activités sur un même lieu : ce serait ça la clé d’un projet immobilier à la fois soutenable économiquement et souhaitable pour les habitants ?

Exactement ! Encore aujourd’hui, il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel. Sauf que ni l’un ni l’autre ne fonctionnent : la première conduit à des bâtiments laids, uniformisés et sans âme et la seconde n’a plus les moyens de ses ambitions car uniquement financée par des fonds publics en voie de disparition. Les collectivités n’ont aujourd’hui plus les moyens de restaurer le patrimoine. Je suis l’avocat d’une troisième voie, tout mon travail consiste à mixer ces visions pour permettre à de nouveaux modèles de lieux de voir le jour. Si l’on veut des lieux vivants, appréciés des habitants, il faut y intégrer des éléments de gouvernance et de programme qui sont plutôt inspirés de la culture ESS et des collectivités ; cela ne nous épargne pas pour autant certaines frictions et résistances.

Il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel.

De qui vient l’opposition: des municipalités, des habitants ?

Les municipalités sont très réceptives. En revanche, en investissant des lieux atypiques, souvent empreints d’émotions, je me frotte à des visions conservatrices. Ça a été le cas avec l'Église Saint-Bernard, il a été très difficile de faire accepter que celle-ci ne serait plus un lieu de culte ni même un lieu culturel mais un lieu polyvalent qui accueillera dès 2019 des petites entreprises dans les nefs latérales ainsi qu’un espace événementiel et un café – restaurant. Encore une fois, la mixité des usagers garantit la viabilité économique du projet et nous autorise à avoir des parties communes qui représentent 40% du bâtiment. Dans un projet classique, ces parties communes sont réduites au minimum car elles ne sont pas rémunérées par un loyer. 

‍Reconversion de l'église Saint-Bernard

Tu es sur le point d’ouvrir ton premier lieu et tu as mené déjà plusieurs projets, fort de ces expériences, pourrais-tu nous dire ce que tu penses être les 3 facteurs de réussite d’un tel projet ?

Le premier élément, c’est le programme. Il doit être pertinent et satisfaire les attentes de la population. Il faut également le penser en termes de synergie entre les différentes activités. Par exemple, nous avons récemment travaillé sur le programme d’un espace dédié à l’artisanat en ville. Aujourd’hui, il y a peu d’artisans en ville car les loyers sont trop onéreux pour leurs activités. Pour résoudre cette problématique, nous avons proposé une fois de plus de mixer les usages en installant un atelier pour jeunes menuisiers au rez-de-chaussée et des éléments plus performants économiquement au premier et deuxième étage : en l’occurrence des bureaux pour des designers qui seront ravis à l’idée de travailler à proximité d’ébénistes et des collocations pour jeunes travailleurs indépendants qui bien qu’ayant des moyens suffisants ont du mal à trouver des logements car ils ne rentrent pas dans les cases. Ensuite, comme dans tous les projets urbains, le lieu et l’emplacement sont primordiaux: ceux que je recherche sont atypiques avec du volume, de lumière, une âme et une histoire. Dernier élément, l’équipe qui va porter le projet et permettre d’obtenir la confiance des investisseurs. Il faut penser le programme en termes de synergies entre les différentes activités.

Il faut penser le programme en termes de synergie entre les différentes activités.

Chaque projet se monte avec une équipe différente et les membres de l’équipe travaillent pour des entités différentes. Quelles sont alors les relations qui unissent les membres de l’équipe et comment ce modèle fonctionne-t-il ?

Effectivement, il n’y ni lien hiérarchique, ni lien contractuel entre les différentes parties prenantes du projet en revanche, il y a un lien financier tacite qui est surtout lié au projet et à son succès. Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés. C’est un modèle qui fonctionne si tout le monde est résilient et qu’il n’y a pas de fortes dépendances.

Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés.

Les locaux sont-ils eux aussi partie prenantes du projet ? Mettez-vous en place des démarches de co-construction pour les impliquer dans la création des lieux ?

De mon avis, c’est une responsabilité qui incombe à la collectivité car c’est un travail exigeant et extrêmement chronophage : organiser et animer des ateliers avec toute la population, récolter les avis… En outre, j’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo. Je préfère y aller à l’intuition et récolter des informations auprès de la collectivité qui fait déjà une partie du travail.

J’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co-création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo.

Quel est alors le rôle qui se dessine pour les collectivités ? Est-ce plus un rôle de facilitateur ? et ont-elles pris acte de ce changement de posture ?

Oui, il s’agit pour elles de faire le lien d’une part entre une multitude de projets et de l’autre avec la population. Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population. Elles ont déjà bien intégré cette transformation de leur rôle, on le voit à travers d'appels à projets tels que Réinventer Paris.

Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population.

Pourrais-tu nous parler d’autres projets immobiliers innovants ? et de leurs différents modèles ?

Il existe par exemple des projets entièrement portés par la collectivité telle que la Friche Belle de Mai ou des projets 100% privé, c’est le cas de Darwin à Bordeaux et de la LX Factory à Lisbonne. La structure derrière ce dernier est à la fois promoteur, aménageur, exploitant et même agent immobilier – c’est un modèle intégré qui permet d’économiser des marges à tous les niveaux. Il y aussi le modèle d’ETIC qui m’a beaucoup inspiré : ils sont à la fois fonds d’investissement et exploitant et montent des projets un peu partout en France.  

Les nouveaux lieux de la ville - Entretien avec Damien Beaufils

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Helene Vuaroqueaux
Hélène Vuaroqueaux
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Les nouveaux lieux de la ville - Entretien avec Damien Beaufils
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Nous vivons dans des villes dont nous avons hérité. Alors que nos modes de vie, nos façons de travailler changent à toute vitesse, n'est-il pas temps de repenser la ville, notre habitat étendu, pour qu'elle réponde à nos véritables besoins ? En créant des lieux hybrides et inédits dans des lieux parfois emprunts d'une histoire forte, Damien Beaufils apporte sa petite pierre à la grande transformation de la ville.

Damien, tu es le fondateur d’ Urban Project, créateurs de lieux innovants» à la fois chasseur de lieux et chef d'équipes, peux-tu nous en dire plus sur ton métier ?

J’ai commencé comme gestionnaire d’actifs immobiliers pour un fond d’investissement – cette activité a rapidement manqué de sens mais m’a néanmoins permis d’appréhender l’univers de l’immobilier. J’ai fait un premier pas de côté en quittant la grosse structure pour m’établir à mon compte à Lyon en tant que consultant pour des investisseurs privés. Néanmoins, je gardais cette frustration de me sentir créatif dans la peau d’un gérant et de ne pas trouver preneurs pour mes idées qui sortaient du cadre. En 2014, j’ai alors décidé de me consacrer à des projets de cœur – je me suis lancé et j’ai connu une vingtaine d’échecs qui m’ont aidé à structurer mon nouveau métier. Aujourd’hui, si je devais l’expliquer, je dirais qu’il consiste dans un premier temps à collecter des idée et à trouver des lieux qui n’intéressent personne plutôt que de répondre à des appels à projets car extrêmement concurrentiels et chronophages. Il s’agit ensuite d’élaborer la recette ou programme dans le jargon immobilier, c’est-à-dire, ce que l’on va mettre dedans : café, restaurant, espace de coworking etc. et d’en trouver le modèle économique, pour s’assurer que les revenus générés seront suffisants pour rembourser les travaux, payer les loyers et rémunérer les personnes impliquées dans la création du lieu. Enfin, je monte une équipe; mon rôle est alors de les fédérer autour d’une vision.

Le dernier né est un projet d’envergure, il s’appelle La Commune, peux-tu nous expliquer en quoi il consiste ?

Il s’agit d’une ancienne menuiserie de 1400m2 que les promoteurs immobiliers classiques voulaient raser pour construire des logements. Le propriétaire, très attaché à ce lieu, a refusé. C’est alors que Déborah Hirigoyen, de l’agence d’architecture Archimix, m’a contacté pour me proposer de réfléchir avec elle à un projet de reconversion. De notre rencontre est née le projet de La Commune. Nous avons ensuite demandé à Damien Doublet, le 3ème associé, de nous aider pour lever les fonds nécessaires. Pour que ce projet fonctionne financièrement, on se devait d’être dans une zone où les loyers sont relativement peu élevés. La Commune sera donc située dans une zone secondaire de Lyon, une zone encore en friche mais qui a un gros potentiel. On s’attend à 10 000 emplois supplémentaires sur ce territoire d’ici 2022. Ceci étant dit, il fallait trouver un ingrédient supplémentaire à la recette pour que ce lieu soit suffisamment attractif, pour devenir un lieu de destination car nous ne pouvions pas compter uniquement sur les habitants des environs pour le faire vivre. Nous avons été conseillé par la Bellevilloise dans ce sens et au-delà de sa fonction d’incubateur de jeunes chefs, ce lieu sera un centre culturel doté d’un bar. Il pourra également être privatisé par des entreprises.

La Commune - Vue intérieure

L’hybridation, le mix des activités sur un même lieu : ce serait ça la clé d’un projet immobilier à la fois soutenable économiquement et souhaitable pour les habitants ?

Exactement ! Encore aujourd’hui, il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel. Sauf que ni l’un ni l’autre ne fonctionnent : la première conduit à des bâtiments laids, uniformisés et sans âme et la seconde n’a plus les moyens de ses ambitions car uniquement financée par des fonds publics en voie de disparition. Les collectivités n’ont aujourd’hui plus les moyens de restaurer le patrimoine. Je suis l’avocat d’une troisième voie, tout mon travail consiste à mixer ces visions pour permettre à de nouveaux modèles de lieux de voir le jour. Si l’on veut des lieux vivants, appréciés des habitants, il faut y intégrer des éléments de gouvernance et de programme qui sont plutôt inspirés de la culture ESS et des collectivités ; cela ne nous épargne pas pour autant certaines frictions et résistances.

Il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel.

De qui vient l’opposition: des municipalités, des habitants ?

Les municipalités sont très réceptives. En revanche, en investissant des lieux atypiques, souvent empreints d’émotions, je me frotte à des visions conservatrices. Ça a été le cas avec l'Église Saint-Bernard, il a été très difficile de faire accepter que celle-ci ne serait plus un lieu de culte ni même un lieu culturel mais un lieu polyvalent qui accueillera dès 2019 des petites entreprises dans les nefs latérales ainsi qu’un espace événementiel et un café – restaurant. Encore une fois, la mixité des usagers garantit la viabilité économique du projet et nous autorise à avoir des parties communes qui représentent 40% du bâtiment. Dans un projet classique, ces parties communes sont réduites au minimum car elles ne sont pas rémunérées par un loyer. 

‍Reconversion de l'église Saint-Bernard

Tu es sur le point d’ouvrir ton premier lieu et tu as mené déjà plusieurs projets, fort de ces expériences, pourrais-tu nous dire ce que tu penses être les 3 facteurs de réussite d’un tel projet ?

Le premier élément, c’est le programme. Il doit être pertinent et satisfaire les attentes de la population. Il faut également le penser en termes de synergie entre les différentes activités. Par exemple, nous avons récemment travaillé sur le programme d’un espace dédié à l’artisanat en ville. Aujourd’hui, il y a peu d’artisans en ville car les loyers sont trop onéreux pour leurs activités. Pour résoudre cette problématique, nous avons proposé une fois de plus de mixer les usages en installant un atelier pour jeunes menuisiers au rez-de-chaussée et des éléments plus performants économiquement au premier et deuxième étage : en l’occurrence des bureaux pour des designers qui seront ravis à l’idée de travailler à proximité d’ébénistes et des collocations pour jeunes travailleurs indépendants qui bien qu’ayant des moyens suffisants ont du mal à trouver des logements car ils ne rentrent pas dans les cases. Ensuite, comme dans tous les projets urbains, le lieu et l’emplacement sont primordiaux: ceux que je recherche sont atypiques avec du volume, de lumière, une âme et une histoire. Dernier élément, l’équipe qui va porter le projet et permettre d’obtenir la confiance des investisseurs. Il faut penser le programme en termes de synergies entre les différentes activités.

Il faut penser le programme en termes de synergie entre les différentes activités.

Chaque projet se monte avec une équipe différente et les membres de l’équipe travaillent pour des entités différentes. Quelles sont alors les relations qui unissent les membres de l’équipe et comment ce modèle fonctionne-t-il ?

Effectivement, il n’y ni lien hiérarchique, ni lien contractuel entre les différentes parties prenantes du projet en revanche, il y a un lien financier tacite qui est surtout lié au projet et à son succès. Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés. C’est un modèle qui fonctionne si tout le monde est résilient et qu’il n’y a pas de fortes dépendances.

Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés.

Les locaux sont-ils eux aussi partie prenantes du projet ? Mettez-vous en place des démarches de co-construction pour les impliquer dans la création des lieux ?

De mon avis, c’est une responsabilité qui incombe à la collectivité car c’est un travail exigeant et extrêmement chronophage : organiser et animer des ateliers avec toute la population, récolter les avis… En outre, j’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo. Je préfère y aller à l’intuition et récolter des informations auprès de la collectivité qui fait déjà une partie du travail.

J’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co-création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo.

Quel est alors le rôle qui se dessine pour les collectivités ? Est-ce plus un rôle de facilitateur ? et ont-elles pris acte de ce changement de posture ?

Oui, il s’agit pour elles de faire le lien d’une part entre une multitude de projets et de l’autre avec la population. Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population. Elles ont déjà bien intégré cette transformation de leur rôle, on le voit à travers d'appels à projets tels que Réinventer Paris.

Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population.

Pourrais-tu nous parler d’autres projets immobiliers innovants ? et de leurs différents modèles ?

Il existe par exemple des projets entièrement portés par la collectivité telle que la Friche Belle de Mai ou des projets 100% privé, c’est le cas de Darwin à Bordeaux et de la LX Factory à Lisbonne. La structure derrière ce dernier est à la fois promoteur, aménageur, exploitant et même agent immobilier – c’est un modèle intégré qui permet d’économiser des marges à tous les niveaux. Il y aussi le modèle d’ETIC qui m’a beaucoup inspiré : ils sont à la fois fonds d’investissement et exploitant et montent des projets un peu partout en France.  

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Helene Vuaroqueaux
Hélène Vuaroqueaux
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Les nouveaux lieux de la ville - Entretien avec Damien Beaufils

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Helene Vuaroqueaux
Hélène Vuaroqueaux
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September 13, 2017
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Nous vivons dans des villes dont nous avons hérité. Alors que nos modes de vie, nos façons de travailler changent à toute vitesse, n'est-il pas temps de repenser la ville, notre habitat étendu, pour qu'elle réponde à nos véritables besoins ? En créant des lieux hybrides et inédits dans des lieux parfois emprunts d'une histoire forte, Damien Beaufils apporte sa petite pierre à la grande transformation de la ville.

Damien, tu es le fondateur d’ Urban Project, créateurs de lieux innovants» à la fois chasseur de lieux et chef d'équipes, peux-tu nous en dire plus sur ton métier ?

J’ai commencé comme gestionnaire d’actifs immobiliers pour un fond d’investissement – cette activité a rapidement manqué de sens mais m’a néanmoins permis d’appréhender l’univers de l’immobilier. J’ai fait un premier pas de côté en quittant la grosse structure pour m’établir à mon compte à Lyon en tant que consultant pour des investisseurs privés. Néanmoins, je gardais cette frustration de me sentir créatif dans la peau d’un gérant et de ne pas trouver preneurs pour mes idées qui sortaient du cadre. En 2014, j’ai alors décidé de me consacrer à des projets de cœur – je me suis lancé et j’ai connu une vingtaine d’échecs qui m’ont aidé à structurer mon nouveau métier. Aujourd’hui, si je devais l’expliquer, je dirais qu’il consiste dans un premier temps à collecter des idée et à trouver des lieux qui n’intéressent personne plutôt que de répondre à des appels à projets car extrêmement concurrentiels et chronophages. Il s’agit ensuite d’élaborer la recette ou programme dans le jargon immobilier, c’est-à-dire, ce que l’on va mettre dedans : café, restaurant, espace de coworking etc. et d’en trouver le modèle économique, pour s’assurer que les revenus générés seront suffisants pour rembourser les travaux, payer les loyers et rémunérer les personnes impliquées dans la création du lieu. Enfin, je monte une équipe; mon rôle est alors de les fédérer autour d’une vision.

Le dernier né est un projet d’envergure, il s’appelle La Commune, peux-tu nous expliquer en quoi il consiste ?

Il s’agit d’une ancienne menuiserie de 1400m2 que les promoteurs immobiliers classiques voulaient raser pour construire des logements. Le propriétaire, très attaché à ce lieu, a refusé. C’est alors que Déborah Hirigoyen, de l’agence d’architecture Archimix, m’a contacté pour me proposer de réfléchir avec elle à un projet de reconversion. De notre rencontre est née le projet de La Commune. Nous avons ensuite demandé à Damien Doublet, le 3ème associé, de nous aider pour lever les fonds nécessaires. Pour que ce projet fonctionne financièrement, on se devait d’être dans une zone où les loyers sont relativement peu élevés. La Commune sera donc située dans une zone secondaire de Lyon, une zone encore en friche mais qui a un gros potentiel. On s’attend à 10 000 emplois supplémentaires sur ce territoire d’ici 2022. Ceci étant dit, il fallait trouver un ingrédient supplémentaire à la recette pour que ce lieu soit suffisamment attractif, pour devenir un lieu de destination car nous ne pouvions pas compter uniquement sur les habitants des environs pour le faire vivre. Nous avons été conseillé par la Bellevilloise dans ce sens et au-delà de sa fonction d’incubateur de jeunes chefs, ce lieu sera un centre culturel doté d’un bar. Il pourra également être privatisé par des entreprises.

La Commune - Vue intérieure

L’hybridation, le mix des activités sur un même lieu : ce serait ça la clé d’un projet immobilier à la fois soutenable économiquement et souhaitable pour les habitants ?

Exactement ! Encore aujourd’hui, il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel. Sauf que ni l’un ni l’autre ne fonctionnent : la première conduit à des bâtiments laids, uniformisés et sans âme et la seconde n’a plus les moyens de ses ambitions car uniquement financée par des fonds publics en voie de disparition. Les collectivités n’ont aujourd’hui plus les moyens de restaurer le patrimoine. Je suis l’avocat d’une troisième voie, tout mon travail consiste à mixer ces visions pour permettre à de nouveaux modèles de lieux de voir le jour. Si l’on veut des lieux vivants, appréciés des habitants, il faut y intégrer des éléments de gouvernance et de programme qui sont plutôt inspirés de la culture ESS et des collectivités ; cela ne nous épargne pas pour autant certaines frictions et résistances.

Il y a deux visions qui se confrontent : d’un côté, la vision privée qui pense retour sur investissement et de l’autre, la vision publique, associative qui se concentre sur l’intérêt général et pense les projets en termes de rayonnement culturel.

De qui vient l’opposition: des municipalités, des habitants ?

Les municipalités sont très réceptives. En revanche, en investissant des lieux atypiques, souvent empreints d’émotions, je me frotte à des visions conservatrices. Ça a été le cas avec l'Église Saint-Bernard, il a été très difficile de faire accepter que celle-ci ne serait plus un lieu de culte ni même un lieu culturel mais un lieu polyvalent qui accueillera dès 2019 des petites entreprises dans les nefs latérales ainsi qu’un espace événementiel et un café – restaurant. Encore une fois, la mixité des usagers garantit la viabilité économique du projet et nous autorise à avoir des parties communes qui représentent 40% du bâtiment. Dans un projet classique, ces parties communes sont réduites au minimum car elles ne sont pas rémunérées par un loyer. 

‍Reconversion de l'église Saint-Bernard

Tu es sur le point d’ouvrir ton premier lieu et tu as mené déjà plusieurs projets, fort de ces expériences, pourrais-tu nous dire ce que tu penses être les 3 facteurs de réussite d’un tel projet ?

Le premier élément, c’est le programme. Il doit être pertinent et satisfaire les attentes de la population. Il faut également le penser en termes de synergie entre les différentes activités. Par exemple, nous avons récemment travaillé sur le programme d’un espace dédié à l’artisanat en ville. Aujourd’hui, il y a peu d’artisans en ville car les loyers sont trop onéreux pour leurs activités. Pour résoudre cette problématique, nous avons proposé une fois de plus de mixer les usages en installant un atelier pour jeunes menuisiers au rez-de-chaussée et des éléments plus performants économiquement au premier et deuxième étage : en l’occurrence des bureaux pour des designers qui seront ravis à l’idée de travailler à proximité d’ébénistes et des collocations pour jeunes travailleurs indépendants qui bien qu’ayant des moyens suffisants ont du mal à trouver des logements car ils ne rentrent pas dans les cases. Ensuite, comme dans tous les projets urbains, le lieu et l’emplacement sont primordiaux: ceux que je recherche sont atypiques avec du volume, de lumière, une âme et une histoire. Dernier élément, l’équipe qui va porter le projet et permettre d’obtenir la confiance des investisseurs. Il faut penser le programme en termes de synergies entre les différentes activités.

Il faut penser le programme en termes de synergie entre les différentes activités.

Chaque projet se monte avec une équipe différente et les membres de l’équipe travaillent pour des entités différentes. Quelles sont alors les relations qui unissent les membres de l’équipe et comment ce modèle fonctionne-t-il ?

Effectivement, il n’y ni lien hiérarchique, ni lien contractuel entre les différentes parties prenantes du projet en revanche, il y a un lien financier tacite qui est surtout lié au projet et à son succès. Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés. C’est un modèle qui fonctionne si tout le monde est résilient et qu’il n’y a pas de fortes dépendances.

Au final, le niveau d’engagement est beaucoup plus solide car on travaille tous à risque et que l’on est payé seulement si on gagne le projet à la fin. Nous avons tous une posture entrepreneur – la responsabilité comme le risque sont partagés.

Les locaux sont-ils eux aussi partie prenantes du projet ? Mettez-vous en place des démarches de co-construction pour les impliquer dans la création des lieux ?

De mon avis, c’est une responsabilité qui incombe à la collectivité car c’est un travail exigeant et extrêmement chronophage : organiser et animer des ateliers avec toute la population, récolter les avis… En outre, j’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo. Je préfère y aller à l’intuition et récolter des informations auprès de la collectivité qui fait déjà une partie du travail.

J’ai malheureusement le sentiment que 80% de la population n’est pas représentée dans ces processus de co-création et que ceux que l’on entend le plus sont les défenseurs du statu quo.

Quel est alors le rôle qui se dessine pour les collectivités ? Est-ce plus un rôle de facilitateur ? et ont-elles pris acte de ce changement de posture ?

Oui, il s’agit pour elles de faire le lien d’une part entre une multitude de projets et de l’autre avec la population. Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population. Elles ont déjà bien intégré cette transformation de leur rôle, on le voit à travers d'appels à projets tels que Réinventer Paris.

Les collectivités sont connecteurs plutôt que pilotes et doivent faire en sorte qu’une initiative rencontre les besoins de la population.

Pourrais-tu nous parler d’autres projets immobiliers innovants ? et de leurs différents modèles ?

Il existe par exemple des projets entièrement portés par la collectivité telle que la Friche Belle de Mai ou des projets 100% privé, c’est le cas de Darwin à Bordeaux et de la LX Factory à Lisbonne. La structure derrière ce dernier est à la fois promoteur, aménageur, exploitant et même agent immobilier – c’est un modèle intégré qui permet d’économiser des marges à tous les niveaux. Il y aussi le modèle d’ETIC qui m’a beaucoup inspiré : ils sont à la fois fonds d’investissement et exploitant et montent des projets un peu partout en France.  

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Helene Vuaroqueaux
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